Le libre-échange non réglementé et la recherche effrénée de profits par les entreprises ont conduit à une course vers le bas
La Confédération syndicale internationale (CSI) souligne depuis longtemps que le libre-échange non réglementé et la recherche effrénée de profits par les entreprises ont conduit à une course vers le bas en matière de salaires, de conditions de travail et d’impacts négatifs sur l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles.
Aujourd’hui, les États-Unis suspendent partiellement ces surtaxes pendant 90 jours, sauf pour la Chine, visée par une taxe douanière massive de 125 %.
Ce retournement tactique confirme que nous sommes face à une instrumentalisation assumée du commerce mondial au service d’intérêts géopolitiques et financiers.
Malgré cette suspension, rappelons que l’augmentation de 10% des droits de douane sur les importations est maintenue pour l’ensemble de la planète. Ce qui amène, en l’état, les USA à avoir son taux de douane moyen sur les importations le plus élevé depuis 1903 (27%). Il s’agit d’ores-et-déjà d’un changement qualitatif majeur dans les dynamiques du commerce mondial.
Mais derrière cette guerre tarifaire, ce qui se joue, c’est une tentative brutale de reconfigurer l’ordre économique mondial au profit des Etats-Unis. En érigeant des barrières douanières et en menaçant les concurrents économiques, les États-Unis cherchent à attirer les capitaux, relocaliser les profits, et conserver leur hégémonie, au prix d’un chaos organisé.
Un risque immense pour l'Europe
Le risque est immense pour l’Europe de se retrouver avec une économie écrasée entre l'impossibilité de vendre aux Etats-Unis et le déferlement des produits fabriqués dans des pays à bas coût. La Chine en particulier va se retrouver avec un immense excédent de marchandises à écouler.
Cette redirection forcée des flux chinois pourrait provoquer un dumping massif sur le marché européen, aggravant les difficultés de secteurs déjà fragilisés comme l’électronique, les équipements industriels, l’automobile ou la chimie.
La Chine représente actuellement 21% des importations totales de l’UE, alors que les importations provenant des Etats-Unis font 14% du total de l’UE.
Selon les estimations du gouvernement, une hausse de 20% des tarifs douaniers pourrait coûter à la France plus de 0,5 point de PIB dès 2025, soit près de 15 milliards d’euros d’activité perdue.
Alors que l’OFCE estime que celle-ci provoquerait en France une perte directe de 0,25 point de PIB en 2026, sans prendre en compte les effets en chaîne, 0,13 point avec une hausse de 10% des droits de douane.
Le gouvernement compte tenu des incertitudes a d’ores et déjà annoncé une révision de sa prévision de croissance à 0,7%.
Les TPE et PME, en particulier celles insérées dans les chaînes de sous-traitance et d’approvisionnement, risquent d’être les premières victimes de la situation. Des remontées de terrain font déjà état de baisse du chiffre d’affaires et de gel des investissements dans ces entreprises très vulnérables aux changements de conjoncture économique.
Cette situation est d’autant plus périlleuse qu’elle s’inscrit dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, de militarisation des relations internationales, et de montée des conflits armés. L’économie de guerre redevient une boussole pour les puissants, quand les logiques pacifiques et multilatérales sont volontairement affaiblies.
Au niveau international, l’avenir passe par une régulation renforcée, l’aide au développement, le multilatéralisme et la construction de la paix.
La CGT refuse que la crise en cours serve de nouveau prétexte à un abaissement des garanties et droits collectifs, et des objectifs environnementaux. De ce point de vue, le feu vert donné par le Parlement européen à la négociation de la directive Omnibus pour soi-disant “simplifier” la vie économique est catastrophique et constitue un premier point offert à l’offensive Trumpiste de régression accélérée des normes sociales et environnementales dans le monde.
La Confédération Européenne des Syndicats qui a appelé à faire barrage à ce projet régressif, posait la question en ces termes : “L'Union européenne ne doit pas devenir un terrain de jeu pour les intérêts des entreprises au détriment des droits fondamentaux et de l'État de droit. C'est un moment décisif pour le Parlement européen : les députés européens se tiendront-ils aux côtés des travailleurs, des syndicats et de la société civile ? Ou céderont ils à la pression des entreprises et approuveront ils sans discussion un recul des progrès ?”
Alors que se profile une crise majeure, ce que la situation exige, c’est une transformation structurelle de notre système économique et social, une rupture avec trente ans d’abandon industriel et de mise en concurrence généralisée. Notre tissu productif, affaibli par l’absence de politique industrielle cohérente, par la désarticulation des filières et la dépendance accrue aux chaînes mondiales, ne tiendra pas le choc sans un véritable tournant structurel : relocalisations, conditionnalité des aides, montée en gamme, planification écologique et sociale.
Or, c’est tout le contraire qui ressort du Conseil national de l’industrie réuni le 8 avril.
Le patronat utilise le tableau sombre qui se dessine comme un levier pour détricoter encore davantage nos normes sociales, fiscales et environnementales. Sous couvert d’un échange "constructif et collectif", dixit Bercy, les représentants des filières industrielles ont profité de l’urgence pour réactiver leur agenda habituel : plus de "compétitivité", plus de "simplification", c’est-à-dire moins de droits pour les salariés, moins d’exigences écologiques, moins de fiscalité sur les profits.
Loin d’un sursaut collectif, on assiste à une tentative de faire passer en force des régressions structurelles, alors que la gravité de la situation impose au contraire un renforcement des protections collectives, une reconquête industrielle au service de l’intérêt général, et une réponse solidaire à la crise qui vient.
Quatre impératifs se dessinent : démocratiser ; définanciariser ; déspécialiser ; décarboner par la réindustrialisation.
Autour de ces impératifs, la CGT propose 16 mesures d’urgence ⤵️
1 / Un dispositif de gestion de crise
- Création d’une cellule de crise hebdomadaire sous l’autorité du ministre de l’Économie, réunissant syndicats, patronat, Bpifrance, Caisse des Dépôts, élus locaux et services de l’État et déclinaison de cette cellule de crise en territoire au niveau des Préfectures.
- Activation locale des commissaires aux restructurations, à condition de les sortir du tête-à-tête patronal : intégration des représentants des salariés et renforcement de leurs moyens d’action.
- Suivi systématique des sites menacés, avec transparence sur les données économiques et industrielles.
- Parmi les nombreux dossiers industriels en cours, cinq d’entre eux constituent des symboles qui appellent des décisions fortes et urgentes de l’Etat : Vencorex ; Chapelle Darblay ; l’industrie spatiale de fabrication de satellites ; Arcelor Mittal ; ATOS.
- L’État – avec les collectivités territoriales – doit utiliser tous les leviers à sa disposition à chaque fois qu’un outil industriel est menacé de disparition :
- Entrée au capital en imposant la présence de représentants de l’Etat et des salariés dans les conseils d’administration ;
- Préemption des terrains et des lieux et outils de production ;
- Nationalisation ;
- Intervention pour que les grands groupes prennent leurs responsabilités et ré-internalisent les activités industrielles menacées.
2 / Réformer les tribunaux de commerce
Actuellement, le tribunal de commerce, compétent en matière des procédures collectives, est composé de juges non professionnels, chefs d’entreprise ou commerçants. Même si très souvent le juge entend notamment les arguments du CSE et des représentants des salariés et peut y être sensible, la composition même du tribunal de commerce pose problème.
Il est donc urgent de réformer la composition des tribunaux de commerce en y intégrant les représentants des organisations syndicales, mais aussi des élus des collectivités territoriales.
Les élu·es du CSE et les représentants syndicaux doivent pouvoir avoir accès à tous les éléments concernant leur entreprise notamment les candidats à la reprise (la data room) et doivent aussi pouvoir avoir un droit prioritaire de choix sur le projet (avis conforme du CSE par exemple).
Le CSE ou les organisations syndicales représentants la majorité des salariés doivent pouvoir interjeter appel avec délai suspensif de la décision du TC. Le CSE doit pouvoir demander de faire financer une expertise sur la viabilité des projets déposés sur les fonds de l’entreprise ou de la société ou du groupe si cette entreprise est filiale ou si ses parts sont détenues par la société ou le groupe. Si les fonds de l’entreprise ne le permettent pas l’expertise sera financée par un fond mutualisé financé par les entreprises de la juridiction. Les mêmes dispositions sont valables pour l’assistance juridique ou d’un avocat.
3 / Un moratoire sur les licenciements (intégrant la loi Florange)
Un moratoire sur les licenciements, comme le porte la Confédération Européenne des Syndicats, pour préserver emplois et compétences, qui pourrait par exemple prendre la forme de de contrats de sécurisation à l’image de celui des travailleurs de la centrale de Gardanne, et d’une mobilisation des fonds de l’Agence de Garantie des Salaires avec un taux révisé.
La loi Florange doit être renforcée en urgence pour maintenir les capacités productives. Il est impératif d’abaisser le seuil d’application de l’obligation de recherche de repreneur de 1 000 à 50 salarié·es ; de renforcer les obligations de résultat (et non plus seulement de moyens) dans la recherche de repreneurs ; de donner au CSE la possibilité de saisir le tribunal de commerce en cas de recherche fictive, avec pouvoir d’injonction sous astreinte ; d’interdire toute suppression d’emploi pendant la durée de la procédure de cession ou de recherche de solution alternative.
4 / Un cadre strict de conditionnement des aides publiques
Un cadre strict de conditionnement des aides publiques versées aux entreprises, fondé sur des critères sociaux, environnementaux, territoriaux. Les aides publiques (subventions, crédits d’impôt, garanties, foncier, commande publique…) doivent être conditionnées à des engagements précis :
- Objectifs chiffrés en matière d’emploi, de formation, de relocalisation, et de transition écologique.
- Restitution automatique des aides en cas de fermeture de site, PSE non justifié ou non- respect des engagements.
- Accord conforme du CSE obligatoire pour l’attribution d’aides, afin d’instaurer un contrôle démocratique sur l’utilisation des fonds publics.
- Pas de rachat d’actions par les entreprises bénéficiaires
- Convertir les aides publiques en prise de participation
5 / Mettre en place un juste prix de l’énergie
Avec la réglementation européenne et française, l’Europe se tire une balle dans le pied sur les prix de l’énergie. Nous avons pourtant une offre d’électricité décarbonée (nucléaire et renouvelable) qui nous offre un avantage de compétitivité déterminant :
- Il faut donc remettre en cause le fonctionnement actuel du marché et revenir à un système où la puissance public maîtrise sa production d’électricité et son prix de vente. Cela passe nécessairement par la sortie du marché européen de l’énergie, par un prix juste et transparent fixé en fonction des couts de production/transport et des investissements nécessaires, et par la mise en place de tarifs régulés pour l’électricité comme pour le gaz.
- Pour préserver l’avantage comparatif de l’industrie française grâce à l’électricité bas carbone au meilleur coût, l’Etat doit faire valoir des contreparties à ce juste prix par le maintien de l’appareil productif sur le territoire national. La dépendance au GNL états- unien rend d'autant plus urgente cette réforme.
6 / Mobiliser la commande publique comme outil anti-dumping social
Le gouvernement doit immédiatement mener un travail sur les critères des marchés publics pour favoriser le mieux-disant social et environnemental, et œuvrer ainsi à préserver les capacités productives nationales. Le droit européen en la matière doit être revu en ce sens de manière urgente, comme le prône la Confédération Européenne des Syndicats :
- Privilégier les circuits courts, le made in France et « made in UE »
- Supprimer l’attribution des marchés publics sur le seul critère du prix le plus bas, et rendre obligatoires des critères sociaux et environnementaux mesurables.
- Conditionner les marchés publics à des engagements sur l’emploi, la formation, la qualité de l’emploi et le respect des droits syndicaux.
- Limiter à 2 le nombre de niveaux de sous-traitance.
- Exclure des marchés publics les entreprises qui ont des holdings dans les paradis fiscaux.
- Créer un registre européen public des entreprises exclues des marchés publics pour violation répétée du droit du travail ou dumping social.
- Instaurer un pouvoir d'intervention syndicale sur les marchés publics de plus de 500 000 euros, incluant l'accès aux informations et un droit d’alerte en cas de non-respect des conventions collectives ou normes environnementales.
- Intégrer les exigences du devoir de vigilance dans les clauses des marchés publics
7 / Création d’un index du « made in France » pour la politique d’achat des entreprises
Orienter la politique d’achat des entreprises sur le made in France et dans l’Union Européenne :
- Créer une information ou une consultation du CSE sur la politique d’achat des entreprises, avec obligation de transparence sur le lieu de production et le bilan carbone, en lien avec les trois autres informations/consultations obligatoires.
- Obligation de publier chaque année le pourcentage d’achat de produits/matières premières fabriquées en France
- Privilégier les fournisseurs et sous-traitants locaux quand l’offre existe. Dans un premier temps, cela pourrait passer par une règlementation européenne interdisant la pratique des enchères inversées mettant en concurrence des entreprises de l’UE et hors-UE
- Renforcer les capacités de contrôle des pouvoirs publics sur la politique d’achat des entreprises
- Assurer un droit à la formation des élu.es sur la politique d’achat de leurs entreprises
8 / Reprendre la main sur le numérique
Face au diktat des GAFAM inféodés à Trump, la France et l’Europe doivent reprendre la main. Cela passe par :
- Le sauvetage immédiat d’ATOS pour empêcher son dépeçage. Aujourd’hui l’Etat a décidé de nationaliser seulement la partie liée à la défense nationale alors qu’il pourrait pour le même montant racheter l’ensemble d’ATOS, qui revêt un intérêt stratégique dans l’ensemble de ses activités (carte vitale, cyber sécurité, …) ;
- La création d’un Pôle public du Numérique, avec des coopérations européennes, dont l’Etat serait l’actionnaire majoritaire regroupant les compétences françaises hardware et software (Orange, OVH, Thales, Atos, Dassault Systemes, Eviden, Cap Gemini, Mistral, ST, Soitec, fabricants de carte électroniques) avec un plan à 5 ans de développement d’outils numériques souverains répondant aux besoins de la population.
9 / L’urgence d’une nationalisation du secteur de l’acier
Alors qu’Arcelor Mittal s’organise pour quitter le continent Européen d’ici 2030 pour délocaliser ses activités en Inde et au Brésil avec de nombreuses suppressions d’emplois à la clé et la fermeture de l’essentiel des capacités de production d’acier sur le plan européen, l’Europe doit s’organiser : sans acier, plus d’industrie !
L’Europe doit reprendre la main et construire un géant européen de l’acier, dans lequel les Etats seraient actionnaires majoritaires, en commençant par convertir les aides publiques colossales décidées pour aider à la décarbonation en prises de participation.
Dans l’immédiat, la CGT demande la nationalisation d’Arcelor Mittal et rappelle que l’autonomie industrielle, autant que les stratégies de développement d’une économie circulaire, ont comme condition de possibilité le maintien de capacités de production conséquentes dans le secteur de l’acier. Nos voisins montrent la voix : la Grande Bretagne vient d’annoncer la nationalisation de British Steel, l’Italie a mis sous tutelle Arcelor Mittal pour empêcher la fermeture d’une aciérie ce qui lui a permis de trouver un repreneur.
10 / La création d’un pôle financier public
Pour financer la réindustrialisation et reprendre la main sur notre destin industriel, il est nécessaire de constituer un Pôle financier public comme instrument de financement et d’orientation de la politique industrielle, réunissant les différents outils publics de financement et assurant leur pilotage.
Ce pôle intégrerait et renforcerait les missions de la Banque publique d’investissement, en créant des synergies avec la Banque de France, la Banque des territoires, la Banque postale, la Caisse des dépôts et consignations, la CNP Assurance et l’Agence des participations de l’État, en orientant les crédits aux entreprises vers l’emploi, la création de richesses dans les territoires et la préservation de l’environnement, et non plus vers la recherche de rentabilité des capitaux.
Ce pôle financier public pourrait aussi permettre de créer un livret épargne populaire industrie-environnement pour orienter l’épargne vers le développement de l’industrie et sa transformation environnementale.
11 / Réorienter les banques, la politique monétaire et l’épargne vers le financement de l’économie locale et décarbonée
La politique monétaire est un puissant moyen d’action mais elle ne peut être pleinement efficace que si elle s’appuie sur une intervention citoyenne dans les entreprises et les territoires où elles sont implantées par un renforcement du pouvoir des représentants des salariés sur les choix d’investissement et de financement des entreprises.
Il y a donc urgence à reprendre la maîtrise du pouvoir monétaire, ce qui suppose de remettre sous contrôle social les acteurs qui le détiennent, à savoir les banques commerciales et les banques centrales.
Nos économies ont besoin d’une tout autre politique du crédit pénalisant ceux qui alimentent les opérations financières, les suppressions d’emplois, les délocalisations dictées par l’obsession de la rentabilité maximale.
Pour cela, il convient de :
- Mobiliser l’épargne vers le financement de l’économie réelle et des entreprises françaises, en commençant par les fonds d’assurance vie
- Moduler les taux d’intérêt européens en fonction de normes sociales et environnementales
- Mettre en place des prêts directs par la Banque centrale aux collectivités publiques et aux Etats à des taux modérés
- Créer un fonds européen alimenté par la BCE pour développer la politique industrielle et mutualiser les efforts d’investissements.
- Créer un fonds public de développement pour la recherche
12 / Un choc d’harmonisation sociale, fiscale et environnementale en Europe :
Cette exigence doit être au cœur de l’agenda porté par la France au niveau européen. C’est sur cette conception que doivent être construites les réponses apportées par l’Europe aux mesures agressives de l’impérialisme états-unien :
- Harmoniser vers le haut les normes sociales, environnementales et fiscales au plan européen pour développer une Europe de la coopération en lieu et place de l’Europe de la concurrence. Rappelons que le premier lieu de dumping et de délocalisation, c’est l’Europe, et que les paradis fiscaux ne sont pas dans des atolls exotiques mais au cœur de l’Europe !
- Intégrer obligatoirement les conditions sociales dans tous les mécanismes de financement, y compris les aides d'État, les fonds de compétitivité et le CFP.
- Inclure des mécanismes clairs de récupération pour s'assurer que les entreprises qui violent les conditions sociales, de travail et d'investissement remboursent les fonds publics.
- Imposer des exigences minimales en matière de contenu local dans les projets industriels financés par l'UE afin de soutenir les chaînes d'approvisionnement de l'UE et d'éviter que l'argent du contribuable ne subventionne l'externalisation d'emplois.
- Mettre en place une taxation européenne spécifique sur les GAFAM et les multinationales du numérique, pour compenser l’optimisation fiscale et la concurrence déloyale qu’elles imposent aux services publics et aux entreprises nationales.
- Taxer les activités financières en élargissant la taxe sur les transactions à l’ensemble des produits spéculatifs (dérivés, gré à gré, haute fréquence) et en instaurant une surtaxe sur les rachats d’actions.
13 / Remplacer le libre-échange par la coopération entre les peuples et un juste échange
Ni guerre commerciale et loi du plus riche, ni libre-échange. La CGT défend une autre voie : la coopération entre les peuples et le juste échange. Cela suppose de refonder le commerce international sur des bases nouvelles, où les échanges sont subordonnés au respect des droits des travailleurs, de la justice fiscale et des engagements climatiques. Il ne s’agit pas de fermer les frontières, mais d’établir des règles équitables, pour que le commerce soit un outil de coopération et de développement, et non de mise en concurrence généralisée.
Cela passe par l’introduction d’un mécanisme de modulation des droits de douane aux frontières de l’UE en fonction du respect des droits sociaux, environnementaux et fiscaux. Cela signifie qu’un pays qui n’a pas ratifié les conventions fondamentales de l’OIT, qui pratique le dumping écologique ou fiscal, devrait payer des droits de douane plus élevés pour accéder au marché européen. Ce principe de juste échange permettrait de protéger les droits sociaux fondamentaux et environnementaux tout en favorisant des échanges équilibrés et solidaires.
Sur les accords de libre-échange, qui vont revenir au centre des débats avec la perte potentiel de marchés aux Etats-Unis et la concurrence accrue pour l’accès à de nouveaux débouchés, la CGT rappelle son opposition au Mercosur et au CETA et défend des lignes rouges qui conditionnent toute signature :
- A ce qu’ils puissent permettre aux parties de développer leurs industries et leurs services pour répondre aux besoins de leurs populations respectives.
- A des clauses sociales obligatoires imposant un mieux-disant pour les travailleurs·euse·s tant européen·ne·s que de l’autre partie concernée. Les parties devraient notamment avoir adopter et incorporer les 10 conventions fondamentales (libertés syndicales et négociation collective, lutte contre les discriminations, l’esclavage, et le travail des enfants, protection de la santé et sécurité au travail) de l’OIT et les conventions 81 sur l’inspection du travail, 122 sur les politiques de l’emploi, 144 sur les consultations tripartites et 190 sur les violences et le harcèlement. Ils devraient aussi comporter des engagements pour des améliorations des législations nationales en matière de conditions de travail, de temps de travail, de négociation collective, de protection sociale.
- A qu’il n’y ait pas de cour d’arbitrage supranationale, privant les citoyens comme les entreprises du respect des législations nationales votées. Notamment qu’aucun accord n’impose les ISDS, mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (en anglais Investor-state dispute settlement). Ce sont avant tout des tribunaux privés au-dessus des lois nationales. Ces Tribunaux supra nationaux sont créés par les Etats eux- mêmes, dans des accords dénommés « accord d’investissement » ou dans les volets « investissements » de nombreux accords de libre-échange. Ces tribunaux privés ont le droit de s'affranchir des droits nationaux et de faire condamner un Etat (donc ses contribuables) à des amendes énormes au profit des investisseurs étrangers mécontents d'une mesure d'intérêt général prise par cet Etat dans lequel ils auraient investi.
- A qu’en matière environnementale, la référence aux accords de Paris et à leur respect soit clairement garantie
- A que le devoir de précaution soit respecté quant à l’importation de produits ou de marchandises en Europe.
- A que le secret des négociations soit supprimé et que les organisations syndicales soient parties prenantes des négociations avec voix délibérative.
Néanmoins, ces garanties ne peuvent être suffisantes en soi. Pour être effectives il faut qu’elles soient accompagnées par la mise en place d’un régime de sanctions contraignantes frappant les violations des clauses sociales des accords de libre-échange allant jusqu’à la suspension ou l’annulation de l’accord. Notamment :
- Il conviendrait d’inclure dans les clauses sociales des ALE un règlement des litiges et un système de plainte sur les questions sociales ;
- Le non-respect des clauses sociales devrait entraîner un régime de sanctions pour répondre aux cas de violations ; cela pourrait être par exemple une suspension des avantages commerciaux
- Il apparaît indispensable de faire en sorte que les entreprises, notamment les firmes multinationales, ne restent pas dans l’angle mort des accords de libre-échange en continuant à se réfugier derrière la responsabilité des Etats pour ne pas engager la leur
; la conditionnalité sociale doit également engager pleinement leur responsabilité. - Le rôle des organisations syndicales doit être substantiellement renforcé, tant dans la phase de conception de l’accord que dans le contrôle de sa mise en œuvre, a fortiori s’il est assorti d’une clause sociale et d’un régime de sanctions. Il faut pour ce faire que les négociations de l’accord aient lieu de façon transparente avec consultation obligatoire des organisations syndicales et des organisations associatives concernées et prise en compte de leurs observations.
14 / La constitution d’un Pôle national public de défense
Le pôle serait basé sur la maîtrise publique des industries de défense, la dualité civil/militaire des outils de production et de la R&D, la recherche de coopérations au niveau européen fondées sur une stratégie de défense et non de marchandisation des armements.
Il convient de donner des perspectives quant à une utilisation de notre outil de production dédié à la défense nationale pour répondre aussi aux besoins sociaux en travaillant la dualité des technologies et la diversification de nos productions, y compris sur sa reconversion vers l’usage civil. La question de la défense du territoire et des citoyens, mission régalienne de l’État, ne se pose pas seulement en termes de dangers militaires.
La protection contre les phénomènes naturels ou climatiques de plus en plus violents, contre les dangers environnementaux facteurs de déstabilisation et d’intensification des conflits régionaux est à prendre en considération. Il en va de même s’agissant de la cybercriminalité. Cela ouvre la voie à une industrie de défense civile et militaire pour laquelle il convient de reconquérir notre souveraineté industrielle dans de nombreux domaines. Le pôle public national de défense (PPND), proposé par la CGT, doit permettre cette réappropriation de la maîtrise publique des industries d’armement et de leur stratégie industrielle.
La défense, les orientations en matière militaire dont le concept de dissuasion nucléaire, doivent relever de dispositifs de débat démocratiques et d’intervention citoyenne. La recherche militaire, la fabrication et le commerce des armes doivent faire l’objet de contrôles parlementaires stricts et renforcés, sur la production et la commercialisation des armes et munitions, ce qui garantirait l’indépendance et la souveraineté de la Nation.
Il faut donner de nouveaux droits aux salarié·es pour intervenir sur les choix stratégiques des entreprises et groupes concourant aux missions de la Défense nationale.
Le droit à la syndicalisation dans un cadre confédéré des personnels sous statut militaire participerait lui aussi à l’indispensable lien démocratique entre les armées et la nation et à l’amélioration nécessaire de la condition militaire.
15 / Légiférer en matière de relations donneurs d’ordre/sous-traitants
Pour entraver le dumping social, il est urgent d’agir, en s’appuyant sur les avancées proposées dans le projet de loi porté par les ex-salarié·es de GM&S :
- Imposer des sanctions lourdes en cas de non-respect des délais de paiement inter- entreprises (y compris sur les marchés publics)
- Inscrire dans la loi une obligation de maintien de charge de 12 mois minimum pour tout donneur d’ordre dont un sous-traitant dépend à plus de 30 % de son chiffre d’affaires.
- Imposer l’intégration de clauses de stabilité de charge et de préavis renforcé dans les contrats de sous-traitance, avec pénalités en cas de rupture non justifiée.
- Conditionner toutes les aides publiques (France 2030, subventions régionales, appels d’offres) à des engagements de maintien des commandes vers les fournisseurs locaux.
- Mettre en place des cellules de veille territoriale sous pilotage DREETS, associant syndicats, donneurs d’ordres et sous-traitants pour anticiper les ruptures de charge et organiser des alternatives.
- Étendre le droit d’alerte syndical en cas de baisse brutale de charge, avec possibilité de médiation industrielle et suspension temporaire des décisions.
16 / Mettre en place une planification environnementale et industrielle
Ce dispositif doit permettre de déployer un plan national de relocalisation et de reconquête industrielle et de transformation environnementale, décliné dans chaque département, piloté par les préfets, avec une gouvernance tripartite (syndicats, élus, patronat).
Ce plan pourrait se décliner autour de plusieurs mesures et principes :
- Examen obligatoire des projets alternatifs portés par les salariés et leurs syndicats, avec soutien technique et financier sur les fonds de l’entreprises, de la société, du groupe, de la branche, de la filière, ou à défaut avec soutien technique et financier public.
- Nationalisation des sites stratégiques menacés.
- Renforcer le contrôle public des investissements industriels : droit de veto sur les cessions stratégiques ; obligation de maintien d’activité et d’emplois pendant 5 ans ; préemption des terrains et outils de production pour empêcher leur bradage ; mise sous pression des grands groupes ; entrée au capital et présence des représentants de l’État et des salariés dans les conseils d’administration des entreprises soutenues.
Pour mettre fin au chantage à l’emploi, il faut sécuriser l’emploi et les garanties individuelles et collectives des travailleur·ses en instaurant une sécurité sociale professionnelle, garantissant le maintien du contrat de travail et de leurs droits. Ceci leur permettrait de se former avec maintien de leur salaire pris en charge par un fond mutualisé pendant la transformation de leur entreprise et éviterait ainsi les licenciements.
Au-delà des mesures d’urgence, la situation de notre industrie nécessite un sursaut pour la reconquête de notre industrie. La CGT appelle le gouvernement à organiser des assises de l’industrie et interpelle les parlementaires pour travailler à la rédaction d’une proposition de loi transpartisane pour relocaliser et décarboner l’industrie.
Il apparaît donc essentiel de réunir l’ensemble des acteurs autour d’une ambition commune, par la convocation d’Assises de l’industrie pour planifier la réindustrialisation à partir d’une évaluation démocratique des priorités associant représentation nationale, organisations syndicales et patronales.
L’urgence est double. D’une part, il faut répondre aux défis colossaux de la transition écologique et énergétique, car la lutte contre le réchauffement climatique ne se fera pas sans une industrie forte, innovante et durable. D’autre part, il s’agit de reconquérir notre indépendance économique et technologique, car dépendre de l’extérieur, c’est exposer notre pays aux crises et aux pénuries.
Face à ces enjeux, nous ne pouvons plus nous contenter de demi-mesures ou d’effets d’annonce. Nous avons besoin d’une loi audacieuse, ambitieuse et structurante pour engager la réindustrialisation de la France. Une loi qui pose les bases d’un nouveau modèle industriel, en rupture totale avec les logiques du profit court-termiste et du dumping social et environnemental.
Il ne s’agit pas d’un simple projet de loi technique. C’est un appel à une mobilisation collective pour repenser notre modèle économique et retrouver notre capacité à produire en France, à innover, et à garantir un avenir digne pour les travailleurs et les générations à venir.