Cette nouvelle Gazette est un résumé des réflexions et travaux de la commission environnement CGTAirbus, composée de syndiqué·es et d’élue·es / mandaté·es. Cette gazette fait suite au premier volet distribué en mai.
Pour ceux qui s’intéressent aux sujets environnementaux (et si l’impact environnemental des tracts papier vous pose problème), abonnez-vous à la newsletter.
Seconde partie : analyse et propositions
La commission environnement CGT Airbus est un espace d’échange dans l’entreprise où se retrouvent les salarié·es souhaitant travailler ensemble afin de proposer des alternatives ambitieuses et argumentées, face à la stratégie de fuite en avant d’Airbus, sur la base des rapports non financiers, des engagements, des communications externes Airbus de sustainability, des qualifications SBTI… en les confrontant aux données scientifiques (étude impact aviation IPCC, shift project, ICCT, ISAE supaero, Stay grounded, Safe Landing)…
Nos sources sont accessibles en bas de page.
Une stratégie réaliste ? Le narratif Airbus est-il conciliable avec la réalité scientifique ?
Dans ses projections et analyses du marché (Global Market Forecast, GMF), Airbus prévoit un doublement de la flotte d’ici 20 ans (+3,6% de croissance/an). Afin d’atteindre cet objectif, tout en respectant l’objectif zéro émissions nettes de Gaz à Effet de Serre (GES) en 2050, Airbus met en avant l’utilisation des SAF (Sustainable Aircraft Fuel) et de l’hydrogène.
L’hypothèse SAF est mise à mal par de nombreux observateurs. Récemment le président de l’IATA, a estimé que le niveau de production de SAF sera largement insuffisant et a pris trop de retard pour pouvoir répondre aux besoins du secteur.
En outre, l’impact environnemental du SAF est loin d’être neutre, son élaboration nécessite énormément d’électricité, d’eau et le prélèvement de biomasse primaire met en péril notamment le fonctionnement de nos forêts ou entre en concurrence avec la production de denrées alimentaires. Les projets en cours, E-CHO (pour Énergie Carbone Hydrogène Oxygène) dans la région paloise par exemple, suscitent l’opposition de nombreuses associations environnementales locales (Association touche pas à ma forêt – Pyrénées).
L’hydrogène n’apparaît pas non plus comme une solution crédible à ce jour, ni prioritaire pour Airbus, vu le report sine die du projet ZEROe (annoncé au mieux en 2040).
De plus, cette technologie ne concerne que les avions court-courriers dont les flottes ne seront remplacées que très progressivement et qui ne représentent qu’une petite part du marché (moins de 5% de l’activité aérienne commerciale).
A ce jour, la production globale d’hydrogène dépend majoritairement des énergies fossiles, l’hydrogène “vert” ne représente qu’1% de cette production. Satisfaire les besoins en hydrogène de l’aéronautique aboutirait à monopoliser une grande partie de la production d’électricité au détriment d’autres usages. Ceci pose une question de démocratie, de gestion du bien commun. Le transport aérien ne profite principalement qu’à la tranche la plus aisée de la population (1% de la population mondiale est responsable de 50% des émissions, 80% de la population mondiale n’a jamais pris l’avion). Pour maintenir une équité, l’arbitrage des usages des ces énergies devrait tenir compte des populations auxquelles elles profitent afin d’assurer une justice sociale du transport aérien.
Ces constats remettent en cause le narratif de la croissance infinie qui semble être aujourd’hui la base de la stratégie Airbus.
A la CGT, nous nous interrogeons sur la soutenabilité de cette stratégie, de l’impact d’une absence de gestion de risque et de stratégies alternatives, qui fait porter le risque d’adaptation sur les salarié-es en cas de retournement non anticipé (crise économique, crise climatique, nouvelle crise sanitaire, réglementation, …).
L’analyse des données SBTi (Science Based Target Initiative) Airbus fait apparaître un manquement important : Airbus ne s’engage sur aucun scénario zéro émissions nettes (CO2) et +1,5°C maximum en 2050.
Dans les modélisations, l’impact non CO2 (oxydes d’azote -NOx-, vapeur d’eau et particules émis lors de la combustion du kérosène) n’est pas toujours pris en compte, du fait de l’incertitude des modèles ou des paramètres de modélisation.
Les scénarios adoptés par Airbus, à l’instar de ceux présentés par l’ATAG (Air Transport Aviation Group) dans le rapport “waypoint 2050”, sont des scénarios optimistes qui peuvent être légitimement questionnés alors que les scénarios les plus réalistes montrent l’impossibilité d’atteindre les objectifs de décarbonation en restant dans le modèle économique actuel (GMF à +3,6%, voir plus haut).
Faites-vous votre idée avec le simulateur Aeromaps !
Vous pouvez vous faire votre idée en utilisant le simulateur Aeromaps de SupAero (développé en coopération avec Airbus). Cet outil permet d’analyser les impacts sur les émissions en jouant sur les leviers de transition du secteur (mise en service de nouveaux types d’avions et renouvellement de la flotte, utilisation de nouveaux carburants (biocarburants, hydrogène…), taux de croissance du trafic aérien…).
Une stratégie soutenable : manger des donuts, voler sous un plafond, garantir l’emploi et préserver l’environnement
Le modèle économique du donut permet de mesurer la soutenabilité des stratégies économiques. Elle intègre les enjeux de limites planétaires et de justice sociale dans le modèle économique. Ces enjeux délimitent des limites extérieures (les limites planétaires), le “plafond” et des limites inférieures, le “plancher”. Ces dernières relèvent des droits humains, des besoins essentiels attachés à chaque personne pour assurer son épanouissement.
Au niveau social, la soutenabilité du secteur aérien implique plusieurs choses :
L’amélioration des salaires
La préservation des emplois du secteur, actuels et futurs
Le maintien d’un droit de transport aérien pour certains besoins et la nécessité de faire payer les pollueurs.
La stratégie actuelle d’Airbus est basée sur une croissance infinie du trafic qui ne permet pas de répondre aux enjeux environnementaux (limite extérieure du donut).
Et, selon les scientifiques, quelles que soient les améliorations technologiques (SAF, H2, etc), seule une stratégie de réduction du trafic aérien permet de répondre à ces enjeux. Cela aura nécessairement un impact à la baisse sur le niveau de production d’avions. Cela ne doit pas se faire au détriment des salariés (limite intérieure du donut) : protéger (et même développer) l’emploi est une priorité. Pour la CGT il n’y a pas de fatalité : pour ne pas la subir, nous mettons en débat, avec les salarié.es, la réduction du trafic aérien.
Penser la robustesse plutôt que la performance…
Aujourd’hui, Airbus ne met l’accent que sur le GMF (Global Market Forecast, cf page 1) et considère que le doublement de la flotte d’ici à 2040 est le seul scénario envisageable. La gestion des risques est mise de côté.
Au fil des années, les ambitions Airbus de décarbonation sont revues à la baisse : les émissions CO2 2024 dépassent déjà la courbe environnementale (cf. gazette environnement volet 1). ZEROe est reporté, la production SAF est en deçà des prévisions…
Il est important de prendre en compte dès aujourd’hui de façon douce la limitation du trafic aérien plutôt que de façon brutale suite à des catastrophes environnementales (manque de nourriture, pénuries d’eau, conflits climatiques, pandémies, catastrophes liées aux cyclones et orages) et/ou à des contraintes réglementaires d’urgence.
Le bassin d’emploi toulousain dépend fortement de l’activité aéronautique. Le problème climatique et les nombreuses incertitudes économiques pouvant mettre à mal la stratégie actuelle d’Airbus. Il serait légitime de se poser la question de stratégies alternatives pour sécuriser l’emploi, comme la diversification, le recentrage sur la valeur du produit, des services, etc…
Il est possible de trouver un nouvel équilibre économique en explorant des pistes telles que la réduction du temps de travail (pour contrer la baisse du niveau de production), l’augmentation du prix des avions, des taxes sur les voyageurs fréquents, la baisse des dividendes (pour augmenter nos salaires)…
Collectivement, nous pouvons trouver les solutions qui répondront à la fois aux enjeux environnementaux et à la pérennisation, voire au développement de nos emplois. Ceci nécessite un changement stratégique : passer du paradigme de la performance à celui de la robustesse, seule garante de durabilité et d’adaptation à un monde incertain (voir les travaux du biologiste Olivier Hamant). Aujourd’hui, le coeur de notre activité est la production d’avions, celle ci doit perdurer mais à moindre échelle. Nos savoirs faire nous permettent largement de reconvertir une partie de nos emplois vers la transition énergétique déployée dans d’autres filières (ferroviaire, énergies renouvelables, adaptation des bâtiments…).
C’est à nous de décider de notre futur et non pas à nos dirigeants et à nos actionnaires qui n’ont qu’une boussole, la rentabilité à court terme et leur profit personnel…
Vers une sécurité sociale de la transition ?
La redirection d’une partie de nos métiers nécessite au préalable d’inventorier les besoins futurs et les qualifications existantes, puis de déployer des formations, tout en accompagnant les travailleur·euses concerné·es (salaires maintenus, sécurisation de la mobilité d’emploi, etc). Pour cela, nous militons pour la mise en place d’une sécurité sociale environnementale qui doit être financée par une partie des cotisations, comme pour le COVID, et gérée par les salarié-es.
Cette transition est une véritable opportunité pour redonner du sens à notre travail, en crise aujourd’hui (bullshit jobs, bureaucratie, infantilisation, dissonance cognitive, injonctions contradictoires…).
Quels rôles pour les salariés ?
Aujourd’hui, les stratégies des entreprises restent le pré-carré du patronat. Si rien ne change, c’est la logique financière de l’actionnariat, faite de greenwashing et des délocalisations, qui s’impose. La transition écologique signifie au contraire que les salarié·es soient partie prenante de la gouvernance des entreprises.
Pour l’environnement, le progrès social et le futur de nos entreprises, rien ne se fera en accompagnant et en subissant le “dialogue social” vanté par les directions. Leurs stratégies se radicalisent, quitte à mettre en péril les entreprises (les plans de licenciement massifs actuels en témoignent).
C’est pourquoi nous devons créer le rapport de force à même d’imposer notre agenda pour contrer celui des actionnaires, qui cherchent à maintenir le business as usual, mais qui peut se révéler mortifère à terme si nous n’anticipons pas assez tôt la rupture environnementale qui sera imposée au secteur de l’aviation.
C’est en faisant pression sur les pouvoirs publics et privés que nous pouvons faire modifier les règles (lois) et redonner du pouvoir aux salarié.es dans l’entreprise, par exemple en s’inspirant des organisations SCOP ou SCIC dans lesquelles les salarié·es sont aussi propriétaires de leur entreprise.
Pour apporter des réponses adaptées à la crise environnementale, nous, salarié·es Airbus Avions avons un rôle à jouer pour peser et inciter notre industrie à être plus ambitieuse. Nous sommes les premier·es concerné·es : il s’agit de notre travail et de nos emplois, alors organisons-nous ensemble.
Le syndicat CGT propose le cadre et les moyens nécessaires pour cela. Rejoignez-nous !